Dans ses "Chroniques algériennes" datant des années 50, Albert Camus écrivait que les véritables colonisateurs de l'Algérie n'étaient pas les Pieds-Noirs, mais les français de métropole.
Et il citait (page 140 dans la collection Folio) un exemple parmi des centaines d'autres : à cotisations salariales égales, le père d'une famille française de trois enfants en Algérie percevait 7200 francs d'allocations familiales contre 19 000 francs perçus par un père de famille vivant en Métropole.
Camus concluait en disant que les profiteurs de la colonisation étaient les métropolitains, et non les pieds-noirs. Cette vérité fut longtemps escamotée par les hommes politiques et les intellectuels français qui accusèrent les pieds-noirs d'être les seuls responsables de la guerre d'Algerie, trompant ainsi l'opinion française, laquelle refusa l'évidence de cette guerre, à savoir que les militaires français allaient se faire tuer en Algérie pour les intérêts de la France et non pour défendre les pieds-noirs comme le sens commun d'alors le prétendait.
En effet, si quelques colons richissimes tenaient le haut du pavé en Algérie ( exploitant aussi bien les arabes que les pieds noirs) , 80 % de la population pied-noir était composée d'ouvriers, d'employés, et, dans le meilleur des cas, de petits commerçants, dont le niveau de vie était de toute façon inférieur à leurs homologues de métropole.
Feignant d'ignorer cette réalité, les intellectuels et les hommes politiques de l'époque déformèrent la vérité de manière à se déculpabiliser, et orientèrent les rancoeurs de l'opinion publique contre les pieds-noirs. Aussi, lorsque ceux ci , en 1962, quittèrent en masse l'Algérie pour échapper à la mort ( le slogan des algériens était : "la valise ou le cercueil"), ils furent très mal accueillis, c'est le moins qu'on puisse dire, par leurs compatriotes de métropole.
C'est ce douloureux retour qu'évoque le très beau film de Frédéric Biamonti et Marion Pillas " L'amère patrie " que diffuse France3 ce lundi 10 septembre.
Toutes les aberrations de cette tragédie y sont soulignées sans fausse pudeur. Les réalisateurs entrent de plain-pied dans l'histoire pour faire voler en éclats ces fausses vérités que les fausses bonnes consciences entretiennent depuis cinquante ans.
De l'inhumanité d'un Gaston Deferre voulant chasser les pieds-noirs de Marseille, à la candeur d'un Robert Boulin voulant faire croire que tous ces "vacanciers" repartiraient en Algérie à la fin de l'été, du sournois Christian Fouchet voulant pitoyablement donner des lecons de morale, à l'insensibilité d'un De Gaulle essentiellement préoccupé par les intérêts de la France au Sahara, de la philosophie meurtrière de Jean Paul Sartre qui n'avait rien compris au problème , aux déclarations hypocrites du Ministre des rapatriés de l'époque, tout est balayé d'un revers de caméra pour dénoncer les injustices dont ont été victimes les pieds noirs.
Illustré par des archives d'époque, avec un commentaire très documenté et très exact , ce film nous livre en outre de de nombreuses interviews de pieds-noirs : aux témoignages d'anonymes, s'ajoutent les témoignages de personnalités eminentes telles que Alain Afflelou, Paul Quiles ou Marthe Villalonga qui vécurent de près cette tragédie.
Indispensable à ceux qui s'interessent à la guerre d'Algérie, ce film, ni de gauche, ni de droite, est un OVNI lançé contre les idées reçues. A voir absolument.